Rolla, Gervex, Musset

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Rolla, Henri Gervex. Musée d’Orsay

« Si la scène est jugée indécente, ce n’est pas en raison de la nudité de Marie, qui ne diffère en rien des autres nus canoniques de l’époque. L’attention des contemporains se porte en réalité sur la nature morte constituée d’un jupon, d’une jarretière, d’un corset dégrafé à la hâte, surmonté par un chapeau haut-de-forme. C’est Degas qui aurait conseillé à Gervex de mettre « un corset par terre » pour que l’on comprenne que cette femme « n’est pas un modèle ». En effet, cette disposition, la nature des vêtements, dessinent clairement le consentement de Marie et son statut de prostituée. »

In Orsay

Le tableau est inspiré de Musset :

«  (…)

Marie en souriant regarda son miroir.
Mais elle y vit Rolla si pâle derrière elle,
Qu’elle en resta muette et plus pâle que lui.
« Ah ! dit-elle en tremblant, qu’avez-vous aujourd’hui ?
— Ce que j’ai ? dit Rolla, tu ne sais pas, ma belle,
Que je suis ruiné depuis hier au soir ?
C’est pour te dire adieu que je venais te voir.
Tout le monde le sait, il faut que je me tue.
— Vous avez donc joué ? — Non, je suis ruiné.
— Ruiné ? » dit Marie. Et, comme une statue,
Elle fixait à terre un grand œil étonné.
« Ruiné ? ruiné ? vous n’avez pas de mère ?
Pas d’amis ? de parents ? personne sur la terre ?
Vous voulez vous tuer ? pourquoi vous tuez-vous ? »

Elle se retourna sur le bord de sa couche.
Jamais son doux regard n’avait été si doux.
Deux ou trois questions flottèrent sur sa bouche ;
Mais, n’osant pas les faire, elle s’en vint poser
Sa tête sur la sienne et lui prit un baiser.
« Je voudrais pourtant bien te faire une demande,
Murmura-t-elle enfin : moi, je n’ai pas d’argent,
Et, sitôt que j’en ai, ma mère me le prend.
Mais j’ai mon collier d’or, veux-tu que je le vende ?
Tu prendras ce qu’il vaut, et tu l’iras jouer. »

Rolla lui répondit par un léger sourire.
Il prit un flacon noir qu’il vida sans rien dire ;
Puis, se penchant sur elle, il baisa son collier.
Quand elle souleva sa tête appesantie,
Ce n’était déjà plus qu’un être inanimé.
Dans ce chaste baiser son âme était partie,
Et, pendant un moment, tous deux avaient aimé. »

Rolla, Alfred de Musset