Dépliage et repliement

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« (…) C’est le souvenir du dépliement de la trop vaste carte d’une mégapole inconnue du touriste et de ses tentatives, vouées à l’échec en situation incommode (comme au volant d’une voiture), de la replier en respectant les plis de son premier pliage pour atteindre au repliement optimal qui lui permettrait de consulter commodément sur ses genoux la partie du plan correspondant au quartier dans lequel il se trouve et où il cherche à la hâte ses repères sur des plaques de rues, sans jamais pouvoir s’arrêter du fait de la densité chaotique de la circulation.

La carte résiste au repliement qui la ramènerait pour cet usage à la planitude de son premier pliage, à mi-chemin par exemple de son dépliage et de son repliement complets, afin d’identifier commodément le lieu où l’on se trouve, sur un plan de ville ainsi ramené à une taille autorisant une lecture simultanée du territoire et de la carte.

L’alternance à 180 degrés des plis du premier pliage dans une des deux dimensions de la carte doit en effet être respectée si l’on ne veut pas que les pliages perpendiculaires, qui ont été faits eux aussi en accordéon pour minimiser l’épaisseur des charnières, ne se trouvent forcés, lors des repliages successifs en un sens inverse du premier pliage, jusqu’à bloquer l’opération par surcharge des charnières principales et gondolage des surfaces ou même par le geste brutal qui crée de nouveaux plis là où il n’y en avait pas.

Recherchant désespérément les pliures premières d’une carte rebelle, on voit le replieur persister en dépit de ses fourvoiements, se croyant plus d’une fois près du but, alors que l’incongruité du dernier repliement qui semble lui promettre l’achèvement de sa tâche lui montre qu’il lui faut derechef tout recommencer à zéro – comme dans un labyrinthe où le visiteur démuni du fil d’Ariane vient buter au dernier tournant sur un mur – cependant que le Minotaure automobile – klaxonnant impatiemment dans le lacis de boulevards ou de ruelles – pousse l’explorateur toujours plus loin vers de nouveaux quartiers, qui renouvellent les échecs de sa tentative d’auto-localisation, plus vite que ne s’accomplit sa tâche de manipulateur et de lecteur de cartes. »

In Analogie, connaissance et poésie, Jean-Claude Passeron