Confessions d’un enfant du siècle, les

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« Un homme qui a son existence réglée, les affaires au lever, les visites à telle heure, le travail à telle autre, l’amour à telle autre, peut perdre sans danger sa maîtresse. Ses occupations et ses pensées sont comme ces soldats impassibles, rangés à la bataille sur une même ligne ; un coup de feu en emporte un, les voisins se resserrent, et il n’y paraît pas. »

« Si vous êtes un homme faible, enclin à vous laisser dominer et à prendre racine là où vous voyez un peu de terre, faites-vous une cuirasse qui résiste à tout ; car, si vous cédez à votre nature débile, là où vous aurez pris racine, vous ne pousserez pas ; vous sécherez comme une plante oisive, et vous n’aurez ni fleurs, ni fruits. La séve de votre vie passera dans une écorce étrangère ; toutes vos actions seront pâles comme la feuille du saule ; vous n’aurez pour vous arroser que vos propres larmes, et pour vous nourrir que votre propre cœur. »

« La première fois que j’ai vu des débauches de table (…) je m’attendais à quelque chose comme de l’oubli, sinon comme de la joie ; je trouvai là ce qu’il y a de pire au monde, l’ennui tâchant de vivre, et des Anglais qui se disaient : Je fais ceci ou cela, donc je m’amuse. J’ai payé tant de pièces d’or, donc je ressens tant de plaisir. Et ils usent leur vie sur cette meule. »

« Et là-dessus les chers reproches que je venais tard et que j’étais coquet ; que je m’étais trop parfumé au bain, ou pas assez, ou pas à sa guise ; qu’elle était resté en pantoufles pour que je visse son pied nu, et qu’il était aussi blanc que sa main ; mais que du reste elle n’était guère belle ; qu’elle voudrait l’être cent fois plus ; qu’elle l’avait été à quinze ans. Elle allait et venait, toute folle d’amour, toute vermeille de joie ; elle ne savait qu’imaginer, quoi faire, quoi dire, pour se donner et se donner encore, elle, corps et âme, et tout ce qu’elle avait. »

 

In Alfred de Musset, La Confession d'un enfant du siècle (1836)