Analogie

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«Le fait de traiter l’inconnu comme du connu définit l’analogie.

Son importance saute aux yeux si l’on considère que l’appréhension du monde avec un regard totalement neuf serait d’une difficulté démesurée, comparable à celle du nouveau-né pour qui les acquisitions conceptuelles se font « à la dure ». À l’inverse, ramener l’inconnu au connu permet de bénéficier, à faible coût cognitif, des acquisitions passées.
(…)
Une première caractéristique [de l’analogie] est l’abstraction : l’être humain sait s’affranchir des particularités pour détecter les points communs. Pour faire face à la diversité du monde, nous avons la faculté d’abstraire : nous regroupons en catégories ce qui est similaire et organisons ces catégories selon leur niveau de généralité.
(…)

Sans cette capacité d’abstraction par la catégorisation, toute tentative d’exploiter nos connaissances antérieures serait vaine, nous serions incapables de dépasser la singularité de chaque situation.

Une seconde caractéristique est la projection : abstraire par la catégorisation permet une projection des connaissances associées à la catégorie. (…) On n’appelle pas « chat » un chat pour le plaisir de la dénomination mais pour les informations qui en découlent : il manifeste son contentement en ronronnant, court après les souris, griffe si on l’agresse, retombe sur ses pattes, a un caractère indépendant… Toutes ces informations peuvent être projetées sur une entité dès lors qu’elle est catégorisée comme chat même sans l’avoir observé sur ce chat en particulier. (…) Ainsi, nos catégories nous informent à chaque instant et nous permettent de dépasser l’observation directe.

Sans projeter nos connaissances sur les situations, nous serions conceptuellement aveugles : incapables de penser ou d’agir, condamnés à l’incertitude et à un tâtonnement permanent.

Si ce double processus d’abstraction et de projection est indissociable de l’analogie, le cœur de ce mécanisme se situe toutefois dans une troisième caractéristique de la cognition humaine : sa fluidité. Les catégorisations varient en fonction du contexte : durant un concert, un piano fera partie de la catégorie instrument de musique, mais dans un appartement, pour des déménageurs, il changera de catégorie et sera avant tout meuble. Loin d’être immuables et d’avoir des contours rigides, les catégories ont des frontières variables : (…) Si, lors d’un pique-nique, on trouve un rocher dont le sommet est plat, que l’on dispose une nappe, des couverts et des assiettes dessus, deviendra-t-il une table ? Les cartes magnétiques qui se répandent dans les hôtels pour ouvrir les portes des chambres sont-elles des clés ?

Mais le phénomène le plus important reste notre capacité de « sauts » catégoriels.

Douglas Hofstadter, de l’université d’Indiana, l’illustre bien en s’appuyant sur le concept de « la première dame ». Aux États-Unis, cette dernière est l’épouse du président. Pour les Français, l’analogie est évidente : le président de la République est marié, son épouse est la première dame.

(…) Mais, lorsque Pierre Trudeau était Premier ministre du Canada et divorcé, son ex-épouse était désignée comme première dame par la presse, de même que la mère de Jean-Claude Duvallier lorsque ce dernier dirigeait Haïti. Ici, on repère le glissement catégoriel d’épouse à femme la plus importante.

Les analogies diffèrent ainsi par l’ampleur des sauts catégoriels sur lesquels elles reposent, des activités les plus banales aux découvertes qui ont marqué l’histoire. Si l’ampleur du saut peut être vue comme un critère de créativité, la contrepartie réside dans le caractère incertain des conclusions produites : Benjamin Franklin fit des prédictions sur la foudre par analogie avec l’électricité, et Lyndon Johnson fut convaincu que le Vietnam était un domino dont la chute dans le giron communiste entraînerait les autres pays de la région. Les événements donnèrent raison à B. Franklin et tort à L. Johnson. »

In Penser par analogie. Emmanuel Sander. Le cerveau et la pensée.